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dimanche 18 juin 2017

Des mathématiques et de la littérature japonaise

Assez récemment (2009 pour l'édition française), la romancière japonaise Yoko Ogawa  nous avait gratifié d'un excellent roman sur fond de Mathématiques,  La Formule préférée du professeur, récompensé par le Prix Yomiuri et  également adapté pour le cinéma et en manga.Ce roman fait d'ailleurs l'objet d'une chronique de Stéphane Lamy sur Image des maths,
chronique que je vous recommande si vous ne connaissez pas encore ce roman très touchant. L'intérêt de Yoko Ogawa pour les mathématiques vient sans doute de sa passion pour le classement : elle a écrit en collaboration avec le mathématicien Masahiko Fujiwara une introduction aux mathématiques en 2005, à l'époque d'ailleurs de la parution de La formule préférée du Professeur.  Fujiwara enseigne à l'Université d'Ochanomizu et il est plus connu pour son oeuvre d'écrivain essayiste que comme mathématicien. Ses idées assez traditionalistes le portant à critiquer la dérive occidentale de la société japonaise et à prôner un retour aux valeurs anciennes.

Mais s'il n'est pas trop surprenant de trouver des mathématiques dans un roman contemporain, c'est plus étonnant de les rencontrer dans un roman classique écrit en 1916 par l'écrivain japonais Natsume Soseki : Clair obscur. Soseki a vécu principalement sous l'ère Meji (1868 - 1912) période d'ouverture du Japon sur l'occident. Comme Fujiwara qui a été en poste à Boulder (USA), Soseki, nommé professeur de littérature anglaise en 1895, a étudié à Londres de 1900 à 1903, mais ces positions sont plus nuancées que celles de Fujiwara. Il se pose plus en observateur de la société qu'en critique. 

Revenons donc au dernier roman de Soseki, Clair obscur. Dès la deuxième page, nous y rencontrons un illustre mathématicien français, Henri Poincaré :"Son esprit, tout comme le train dans lequel il était monté , ne cessait d'avancer sur ses propres rails. Il se rappelait l'histoire de Poincaré qu'un ami lui avait raconté deux ou trois jours auparavant." 
 

Il s'agit ici clairement d'une allusion au célèbre voyage de 1880, où Poincaré fait une découverte essentielle sur les fonctions fuchsiennes en posant le pied sur le marchepied de l'omnibus.
Mais continuons notre lecture :

 "Tu vois, quand on parle de hasard à propos d'un événement fortuit, c'est, d'après la théorie de Poincaré, que la cause est trop complexe pour être saisie." 

 Lee héros Tsuda, se plonge dans ses pensées, sur son couple, sa femme (Clair obscur a été qualifié de récit d'un naufrage conjugal) :

 "Et pourtant je n'avais jamais imaginé pouvoir la prendre pour femme. Hasard ? Le sommet de la complexité selon Poincaré ? "

Comment la Science occidentale, et notamment les mathématiques, ont elles pu si rapidement pénétrer la société japonaise, au point qu'un littéraire comme Soseki est au courant des boulversements de pensée entraînés par les découvertes de Poincaré sur le chaos ?   Un excellent article de Noel Blandin, dans la république des lettres  
nous renseigne à ce sujet :  
"Cet immense effort de mithridatisation fut déclenché par un décret impérial faisant connaître aux Japonais qu'ils devaient chercher la science partout où elle se trouvait; on vit ainsi partir en Angleterre, en France, en Allemagne et aux États-Unis des missions d'étudiants qui rapportèrent à pleins cahiers ce qu'ils avaient appris des langues, des lois, des techniques et des cultures des pays visités. Ces connaissances furent exploitées avec une rare méticulosité, et quelque trente ans seulement après le décret, le Japon avait comblé son retard et entrait dans le XXe siècle sensiblement à égalité avec les autres nations modernes..."
 A titre de comparaison, on chercherait en vain une pareille imprégnation dans La Recherche de Proust , qui voit le jour en France entre 1906 et 1922, donc tout à fait à la même époque.Mais si la littérature japonaise elle même est imprégnée de la culture mathématique occidentale, il a dû en être de même pour les mathématiques japonaises. Avant l'ère Meiji, les mathématiciens japonais sont loins d'être inactifs : Arithmétique sous l'impulsion de Mori Kambei, avec la parution du traité Jinkoki de Yoshida (1626), calcul différentiel  avec Kowa, découvreur de la méthode d'accélération de convergence d'Aitken en 1680. Mais à l'époque Meiji, le décret Gakusei sur l'éducation (1872) instaurera l'enseignement des maths à l'occidentale, tournant ainsi le dos aux mathématiques traditionnelles. Les choses iront en s'accélérant et nous mèneront par exemple à la conjecture de Taniyama-Shimura (1955). Mais il est temps de retourner à notre lecture...

 

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